• Le serment silencieux

           J'ai toujours été un enfant solitaire et renfermé, je ne supportais la compagnie de personne. Cela n'aurait pas été un problème, si seulement ce monde m'avait accepté tel que j'étais. J'étais à part, différent du reste. Et cela, gênait les gens qui m'entouraient, comme si j'étais néfaste, comme si je menaçais leurs vies et leurs tranquillités par ma seule existence. Ils me voulaient tous du mal. Même ma famille se serait volontiers débarrassée de moi, ce qu'ils auraient sans doute fait, si seulement ils n'avaient pas eu besoin de moi pour les travaux de la ferme, un dur labeur. Je me demande parfois, si cela me dérangeait vraiment, si ces regards en coin et ces chuchotements derrière mon dos m'avaient réellement fait souffrir. Aujourd'hui, j'ai plutôt tendance à penser, que ce qui me dérangeait, c'était que l'on me remarque. J'ai toujours aimé être en décalage, d'être un spectateur, de ne pas faire parti du tableau, comme une ombre que l'on ne distingue qu'à peine, n'y prêtant pas attention.
    Je haïssais cette vie, je détestais ma famille, quant au reste, tout m'était indifférent. Et tout cela, alors que je n'avais que sept ans. Mais une fois cet âge passé, tout fut plus simple, tout fut plus facile. En effet, je fis la connaissance de mon meilleur ami. Il était certes mon ami, mais nous n'avions aucun point commun, on aurait presque même put penser qu'il s'agissait de mon contraire. Il provoquait, il se moquait des gens, se donnant en spectacle à la moindre occasion. Fougueux, il n'avait peur de rien, rien ne paraissait pouvoir l'arrêter.
    Bien que sa rencontre fut la plus belle révélation de ma vie, notre amitié aggrava ma situation, les gens me voyaient à présent comme un démon faiseur de trouble. Mon père m'infligeaient des corrections deux à trois fois pas jour, parfois davantage.
    Un matin, j'ai crut mon dernier jour arrivé, j'avais oublié de fermer l'enclot la veille au soir. Mon ami intervint à, ce qui me sembla être, la dernière seconde de ma vie. Il enfonça une faux dans le ventre de mon père. Et nous nous enfuîmes à toutes jambes, sans un regard en arrière.
    Après quoi, nous nous sommes tous deux retrouvés dans un orphelinat. Nous étions devenus inséparable.
           Quelques années plus tard je devenais Julien Damier, et lui Giuliano Mat, étudiants en droit parmi tant d'autres. Personne ne me connaissait et je ne connaissais personne. Nous partagions tout deux une petite chambre de bonne, sous les toits des grandes maisons bourgeoises de la ville.
    Pendant les dernières années passé, notre amitié et notre intimité s'étaient développées, de plus en plus forte et de plus en plus indispensable. Mais malgré l'admiration et le dévouement que j'avais pour lui, il m'inspirait aussi beaucoup de peur. Il pouvait devenir très violent, mais pas de cette violence si commune, ce n'était pas de la violence bestiale. Il restait calme dans sa violence, il faisait souffrir ses victimes sans le moindre remord ni hésitation. Parfois, j'avais même l'impression qu'il y prenait plaisir. Il considérait les humains qui nous entouraient comme des animaux profondément stupides sans le moindre intérêt. Seuls nous deux comptaient, et je dois avouer qu'il en était de même pour moi. Jusqu'au jour où je fis une rencontre.

           C'était un soir d'automne, je lisais un livre au pied d'un vieux chêne du parc alors que les oiseaux s'en donnaient à cœur joie dans leur symphonie. Mon ami, fatigué, était allé se reposer. J'étais plongé dans la lecture des " Misérables ", quand la faible brise se transforma en tempête de vent, faisant voler les feuilles mortes en tous sens dans un bruit assourdissant. Surpris, je levais les yeux. Et là, à quelque pas de moi, je vis la plus belle chose qui puisse exister. Une jeune femme au visage doux et aux lèvres rougis par le froid, les cheveux ondulants le long d'un visage pâle. Elle brillait d'une lueur orangée et dorée, comme si elle reflétait tous les rayons du soleil, se les appropriant.
    Je restais là, pétrifié, comme s'il s'agissait d'une apparition, en quelques secondes, mon univers était bouleversé. Jamais je n'avais ressenti une telle émotion, qui plus est, pour une créature humaine autre que mon ami Giuliano.
    Troublé, et plus maître de mes actes, je me levais, faisant tomber l'ouvrage de mes genoux, sans prendre la peine de le ramasser, je me dirigeais vers la jeune femme, cause de mon agitation intérieure. Il fallait que je lui parle, que je sache comment elle s'appelait, où elle habitait, qui elle était. Il ne fallait surtout pas qu'elle disparaisse.
    Alors, pour la première fois, je dis bonjour à quelqu'un. Une inconnue.
           Elle fut surprise, puis s'amusa de mon expression stupéfaite. Elle me parla du temps et ensuite de littérature, je répondais de mon mieux, m'appliquant sur mes réponses, comme un enfant impressionné. C'est ainsi que nous fîmes connaissance, Miriam et moi.
    Je la revis plusieurs fois, mais dans le plus grand secret. J'avais peur de la réaction de Giuliano. Mais cela été difficile, car tout deux nous partagions tout, nous étions toujours ensemble. Je profitais des températures basses de novembre, car mon ami, bien plus sensible au froid que moi, préférait se retirer dans un endroit chaud, loin des intempéries, tel un ours qui hiberne.
    Mais les changements qui se faisaient en moi ne lui échappèrent pas. Je laissais mon esprit divaguer, me perdant dans mes songes, je m'adressais davantage aux gens, adressant des sourires. J'avais même adopté un petit chaton des rues, avec qui je passais des heures à jouer et que j'aimais câliner tendrement.
    Ma vision du monde changeait peu à peu, ainsi que celle de l'humanité. J'étais plus ouvert et je me posais des questions que jusqu'alors je ne m'étais jamais posé, persuadé que la vie et l'Homme en lui même, n'avaient rien à m'offrir. Mais, si toutes ces questions apparaissaient, mon ami, lui, disparaissait de jour en jour. Autrefois presque inséparable, il me fallait à présent passer la moitié de mon temps sans lui. C'était pour moi un grand vide, comme si une partie de moi même me faisait défaut.
           Quand je pris vraiment conscience de cet éloignement, j'ai cru en devenir fou. Pour moi, il était impensable de continuer ma vie sans sa présence rassurante. Il était mon défenseur, il m'avait toujours protégé de tout, se dressant telle une muraille devant mes ennemi. Nous avions une sorte de serment silencieux, il me protégeait de ceux qui me voulaient du mal, et moi je le protégeais du monde.
    Lorsque je me fis cette réflexion, je compris que je l'avais abandonné, que j'avais trahi notre serment. Nous ne faisions qu'un tout les deux. En créant une ouverture vers le monde extérieur de mon côté, j'en avais créé une du sien, le mettant en danger.
    Paniqué et ne sachant que faire, je rentrais ce soir là le plus tôt possible, et l'attendis, désespéré.
           Quand il revint, il comprit tout de suite mes intentions et prit la parole immédiatement, afin de me déstabiliser :
    " Qu'y a t'il Julien ? Aurais-tu du remords pour ce que tu m'as fait avec cette femelle ? "
    Bouche bée, je ne sus lui répondre, je ne savais pas comment me défendre, puisqu'il l'avait toujours fait pour moi. Mais je réussis tout du moins à bafouiller quelques mots : "  Je t'assure que je ne savais pas, je n'avais rien compris, je pensais pourtant te connaître ..." Ma voix était brisée, dévoilant toute ma détresse, mais cela ne parut pas l'affecter, sa colère dépassait tout ce que j'avais pu deviner. De son esprit, je ne pouvais que capter des sentiments noirs, sans aucune compassion.
    Je savais ce qu'il voulait, ce qu'il attendait de moi, il ne servait à rien d'en discuter. Il fallait que je dise adieu à Miriam. Et je ne dis qu'une chose : " non ".
    Fou de rage, mon ami, lui qui représentait jusqu'à présent ma vie, parti, dans un adieu silencieux.
           Et là, un monde s'effondra, c'était la fin de mon monde.
    Plus désespéré que jamais, anéanti, je me rendis chez Miriam, la seule chose qui me restait.
    A ma vue, affolée, elle me fit asseoir et me donna un cognac, que je bus d'un trait, ce qui me fit tousser pendant un long moment et me monta les larmes aux yeux.
    Je lui expliqua tout ce qui m'était arrivé, et plus encore, je lui conta tout de ma vie, à une exception prés. Mais bientôt, il faudrait que je le révèle, et cette pensée m'était plus terrifiante que tout le reste.
           Elle en arriva à la conclusion suivante : " Fais tout pour lui parler, si c'est ton ami, je suis sûre qu'il pourra comprendre ". Hélas, sa vision était trop terre à terre, typiquement humaine, un raisonnement que Giuliano et moi ne suivions pas. Mais dans tous les cas, son conseil était irréalisable.
    N'osant pas la regarder dans les yeux, mon regard se baissa : "  Cela m'est impossible Miriam "
    Sa réaction fut immédiate et désespérée : " Mais pourquoi Julien ? Qu'est ce que tu ne me dis pas ? Rien ne t'empêche d'essayer ".
    Me sentant prisonnier, je savais qu'il fallait que je lui dise mon secret, mon ultime secret. Que seul moi connaissait. On pouvait dire que mon ami était lui aussi au courant, tout dépendait le point de vue adopté. Il fallait que je lui dise, je n'avais rien à perdre. Je me penchais légèrement et lui chuchotais ces quelques mots à l'oreille : " Miriam, il est moi et je suis lui. Nous sommes dans le même corps et nous sommes la même personne avec deux caractères différents. Tu comprends ? "

    (de moa)
    Texte protégé 


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :